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Interview exclusive de Luca Marotta sur la compétitivité de la Serie A

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Luca Marotta, spécialiste italien de l’économie du ballon rond et auteur du site luckmar.blogspot.it. Au sein de cette interview, Luca Marotta évoque les problèmes de compétitivité du football italien à travers la fin de l’âge d’or du mécénat et la nécessité de trouver de nouveaux modèles économiques permettant d’atteindre l’équilibre budgétaire. L’interview s’achève sur une appréciation du niveau actuel de la Ligue 1 par rapport à la Serie A.

Luca, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’Ecofoot.fr ?

Au cours de ma formation, j’ai obtenu un diplôme universitaire en économie. Je suis aujourd’hui Comptable Agréé. L’analyse des comptes annuels des clubs de football constitue un loisir pour moi. Lorsque j’ai lancé le site luckmar.blogspot.it – média regroupant l’analyse financière de nombreux clubs européens – il y avait un manque d’information financière sur les clubs de foot. Depuis, en Italie, j’ai été cité par de nombreux journaux concernant mon travail d’analyse financière des clubs.

Pourquoi la Serie A a-t-elle régressé dans la hiérarchie européenne au cours des dernières années ? Les raisons sont-elles uniquement d’ordre économique ? Le déficit d’internationalisation constitue-t-il la raison principale ?

La  Serie A a atteint son apogée le 28 mai 2003, avec la finale de la Ligue des Champions Juventus-Milan à Manchester. Après cette finale, un lent déclin s’est enclenché. Effectivement, la Serie A a régressé dans la hiérarchie européenne pour des raisons économiques et sportives. Mais les raisons sportives sont en réalité une conséquence des problèmes économiques. Pendant longtemps, beaucoup de clubs de Serie A ont vécu au-delà de leurs réelles ressources financières. Il y a notamment eu des coûts de transferts exorbitants avec des valeurs d’immobilisations incorporelles pour les contrats des joueurs franchement incroyables. Une loi appelée « spalmadebiti » a été promulguée pour résoudre le problème. Des clubs comme la Fiorentina et le Napoli sont tombés en faillite, respectivement en 2002 et en 2004.

Pendant trop longtemps, en Italie, les clubs ont vécu grâce au mécénat. C’est à dire qu’il y avait des entrepreneurs ou des financiers, comme Moratti, Berlusconi et Sensi (AS Roma), qui ont dépensé beaucoup d’argent, pour remporter des trophées. Pour Berlusconi on parlait de « retour sur image » car les investissements footballistiques servaient ses intérêts politiques. Berlusconi a considérablement augmenté sa popularité avec le football et les victoires. L’âge d’or du mécénat s’est réellement achevé avec la victoire en Champions League de l’Inter de Moratti. Entretemps, il y a eu l’affaire du Calciopoli qui a engendré l’absence de la Juventus des compétitions européennes durant deux ans (2006-07 et 2007-08). Pour la Serie A et pour l’équipe nationale italienne de football, la Juventus est très importante et fondamentale. Jean Claude Blanc, qui a ensuite été appelé à la reconstruction de la Juventus, n’a pas atteint les objectifs sportifs. Il a été remplacé par Andrea Agnelli, qui a confié le mangement sportif de l’équipe première à un entraîneur gagnant, Antonio Conte. Dans ce cas précis, les succès sportifs ont déterminé les succès économiques du club.

En résumé, la chute de la Juventus liée au Calciopoli a eu un véritable impact sur le déclin de la Serie A.  Cette chute a coïncidé avec la fin de l’âge d’or du mécénat. Plus récemment, le Milan AC a dû vendre Ibrahimovic et Thiago Silva au PSG. La Serie A peut d’ailleurs remercier Leonardo pour avoir acheté à prix d’or de nombreux joueurs du championnat italien comme Pastore (Palermo), Cavani (Napoli), Lavezzi (Napoli) ou Marquinhos (AS Roma).

Le déficit d’internationalisation constitue la conséquence de la perte de compétitivité économique de la Serie A. Aujourd’hui, il y a moins d’argent et les « Top Players » jouent forcément ailleurs (Premier League, PSG, Real Madrid, FC Barcelone et Bayern Munich).

Comment l’Inter Milan est-il passé du titre européen en Champions League à un club de milieu de tableau de Serie A en quelques années ? Peut-il revenir au plus haut niveau européen avec son nouveau propriétaire ?

D’abord, il faut rappeler que l’Inter Milan a acheté Zlatan Ibrahimovic en provenance de la Juventus au lendemain de l’affaire du Calciopoli. Après deux ans de collaboration, l’Inter a vendu Ibrahimovic au FC Barcelone, lui permettant ensuite d’acheter d’autres grands joueurs comme Samuel Eto’o et Wesley Sneijder. L’équipe a gagné la Ligue des Champions mais a également accusé une perte financière de 69 M€ en fin d’exercice ! Moratti a ensuite renouvelé les contrats des joueurs, avec une inflation salariale à la clé. L’année suivant le titre européen, l’Inter ne parvient pas à gagner le championnat de Serie A, provoquant une nouvelle perte financière de 86,8 M€ ! Moratti, en vingt ans de présidence à l’Inter, a perdu 1,2 milliard d’euros pour gagner une seule Ligue des Champions.

Erik Thohir n’a pas directement racheté les parts de Massimo Moratti à l’Inter. Il a souscrit à une augmentation de capital pour devenir actionnaire majoritaire du club. Il a réussi à refinancer la dette de l’Inter mais il a engagé les revenus TV et commerciaux futurs du club. Jusqu’à présent, Erik Thohir n’est pas parvenu à émettre un emprunt obligataire pour rembourser la dette. Le fardeau de la dette est tel qu’il sera difficile de faire des achats importants dans un futur proche (Yaya Touré, par exemple). De plus, il faut aborder la question de la conformité avec les règles du fair-play financier.

L’Inter, par l’entremise de « Inter Media » a souscrit avec Goldman Sachs International et Unicredit à un contrat de financement pour un total de 230 M€, dont 200 M€ comme ligne de crédit pour refinancer les dettes existantes et 30 M€ pour financer le fonds de roulement du club.

Le plan de remboursement prévoit:

  • 1 versement de 1 M€ avant le 30 juin 2015
  • 15 versements trimestriels de 3 M€, à partir de 30.09.2015 jusqu’au 30.03.2019, pour un total de 45 M€
  • 1 versement final de 184 M€ avant le 30 juin 2019.

En résumé, l’Inter rencontre actuellement de nombreux problèmes économiques et sportifs liés à une mauvaise gestion sous les dernières années de l’ère Moratti.

La direction du Milan AC évoque régulièrement un plan de restructuration du club pour retrouver le devant de la scène européenne. Quel est ce plan ? La famille Berlusconi cherche-t-elle à vendre le Milan AC ?

Au cours des dernières années, le Milan AC a essayé de réduire sa masse salariale et les coûts de transferts. Cette politique a conduit aux ventes d’Ibrahimovic et Thiago Silva et à la non-reconduction de contrats de joueurs coûteux comme Andrea Pirlo. Cependant, les résultats sportifs de la saison 2013/14 n’ont pas été brillants. Le Milan AC n’est pas parvenu à participer à la Ligue des Champions 2014/15 ce qui provoque une forte baisse du chiffre d’affaires, entrainant une perte pour les comptes annuels de 2014.

Un projet de nouveau stade a été présenté, mais le club on n’a toujours pas d’autorisations. Le projet « Casa Milan » a impliqué le déplacement du siège social, la création d’une nouvelle zone d’activités autour du club. Mais une telle structure a un coût très important. Berlusconi souhaite vendre le Milan AC, mais à un prix qui est très proche de la capitalisation actuelle d’un club comme le Bayern Munich. Le problème c’est que le Bayern Munich exploite un stade qui lui appartient et chaque année les comptes annuels du Bayern sont positifs avec des profits et des dividendes distribués aux actionnaires. De son côté, le Milan AC n’est pas propriétaire de son stade, ne participe pas actuellement aux compétitions européennes et présente de lourdes pertes financières.

Au 31 décembre 2012, une valorisation de 357 M€ était reportée au bilan de Fininvest concernant le Milan AC.

Un club Italien peut-il remporter la Champions League dans les années à venir ?

Peut-être. José Mourinho disait récemment que pour gagner la Ligue des Champions, il faut de la chance. La victoire se joue sur une accumulation de détails. Actuellement, il y a des clubs beaucoup plus forts, comme le Bayern, le Real Madrid, le FC Barcelone… Les clubs anglais étaient désignés comme les grands favoris de la compétition en début de saison au regard de leurs moyens financiers et pourtant… Pour gagner cette compétition, les moyens financiers ne suffisent pas. Il faut aussi de la rigueur tactique, de la qualité technique, la construction d’un collectif…

Néanmoins, si on se base uniquement sur les critères économiques, la réponse à la question est formellement négative. Néanmoins, la Juventus s’en rapproche. Elle se classe aujourd’hui parmi les huit meilleures équipes en Europe. Grâce à un tirage au sort clément, elle pourrait être classée dans les quatre meilleurs clubs cette saison. Dès l’an prochain, la Juventus augmentera ses revenus commerciaux avec ses nouveaux contrats conclus avec Adidas et le Groupe FCA (JEEP) lui permettant de réduire l’écart avec les meilleures formations européennes.

Quel est le montant actuel des droits TV de Serie A ? Quand interviendra la prochaine renégociation ? Les droits vont-ils connaitre une inflation ?

« Les recettes TV de la Serie A pourraient être plus élevées avec une nouvelle direction »

Le montant des droits TV  de Serie A (SKY + Mediaset) pour la période  2012-15 est de 829 M€ par an. Le championnat augmentera ses droits TV domestiques pour la période 2015-18 afin d’attendre 943 M€ par saison. A cela, il faut rajouter les droits TV vendus à d’autres médias (résumés en claire des rencontres, droits TV de la Coupe d’Italie…). Selon Andrea Agnelli, les recettes télévisuelles de la Serie A pourraient être plus élevées avec une nouvelle direction à la tête de la Ligue italienne.

Quelle est la situation actuelle du club de Parme FC ?

Parme FC a été déclaré en faillite. Le tribunal a autorisé la poursuite de l’activité de Parme FC jusqu’à la fin du championnat car la FIGC a garanti le versement de 5 M€ pour boucler l’exercice actuel.

Cependant, dans un avenir proche, un administrateur judiciaire va procéder à la scission d’une partie de l’activité, c’est à dire la partie sportive. Il y a aura une nouvelle société, avec l’actif et le passif sportif de Parme FC. Une vente publique sera organisée concernant l’acquisition de la nouvelle société.

En revanche, il sera difficile de trouver un repreneur pour la nouvelle entité. L’acquéreur du club devra supporter des dettes sportives à hauteur de 60-70 M€. Dans ces conditions, peu d’investisseurs seront intéressés par la reprise du club.

L’AS Roma est-elle en conformité avec le fair-play financier ?

La réponse est clairement non. L’AS Roma a des problèmes concernant la règle du Break-Even. En plus, le club affiche une situation nette consolidée négative. A partir du mois d’octobre 2014, des informations complémentaires ont été demandées à l’AS Roma par le Club Financial Control Body (CFCB). A l’avenir, il sera très important pour l’AS Roma de se qualifier pour chaque édition de la Ligue des Champions afin d’en récupérer les lucratifs revenus permettant d’équilibrer les comptes du club.

Pourquoi le propriétaire de la Juventus réclame-t-il plus de 443 M€ d’indemnités à la FIGC dans l’affaire du Calciopoli ? Quel est le but de la manœuvre ?

Selon la Juventus, l’affaire du Calciopoli a entrainé une inégalité de traitement. Elle a été bien plus sévèrement sanctionnée que les autres équipes impliquées (Milan, Fiorentina, Lazio, Reggina). L’Inter s’en est encore mieux sorti, avec des faits tombant sous le coup de la prescription. A l’issue de l’enquête, la justice a découvert que toutes les équipes faisaient les mêmes choses et se comportaient de la même façon.

Le but de l’action judiciaire de la Juventus pourrait être la reconquête des deux titres de 2005 et 2006 destitués au club turinois par la FIGC. En plus, les tribunaux ont dernièrement statué que les championnats de la Ligue Italienne ont été joués régulièrement, sans fraude.

Quel club de Serie A possède le modèle économique le plus sain ?

« Le modèle économique de la Juventus nécessite également de fortes recettes télévisuelles »

Les équipes italiennes ont besoin des recettes des droits TV et d’une balance des transferts positive pour atteindre l’équilibre budgétaire, puisque le coût du personnel absorbe les produits des medias. Les recettes des medias représentent 60% du chiffre d’affaires de la Serie A.

Jusqu’à la saison 2013/14, on pouvait parler du modèle du SSC Napoli ou de l’ACF Fiorentina. Mais les deux clubs ont surtout compté sur la cession de joueurs à fort potentiel (Cavani, Jovetic…). La Lazio possède un modèle économique équilibré.

Le modèle économique de la Juventus avec la propriété du stade nécessite également de fortes recettes télévisuelles (en provenance notamment de la Ligue des Champions) afin d’être équilibré. Enfin, l’Udinese, championne du marché des transferts pendant de nombreuses années, est en train de moderniser son stade.

Quel club peut devenir le principal rival de la Juventus sur la scène nationale ?

Je pense que ce sera la Fiorentina. Le club possède un actionnariat solide (Della Valle ou Mr. Tod’s) et un entraîneur compétent. L’AS Roma et le SSC Napoli ont de très bons éléments mais les deux clubs rencontrent des problèmes liés à leur environnement particulier, avec une pression importante exercée par les supporters. Et la Lazio possède à sa tête un président qui se préoccupe plus de l’équilibre financier plutôt que des résultats sportifs.

Luca Marotta

Selon Luca Marotta, la Fiorentina pourrait devenir le principal adversaire de la Juventus sur la scène nationale lors des prochaines saisons.

Que pensez-vous de la Ligue 1 ? Suivez-vous personnellement ce championnat ? Peut-il dépasser la Serie A au classement des coefficients UEFA dans les années à venir ?

« Selon moi la différence de moyens entre la Serie A et la Ligue 1 reste conséquente »

Pour répondre à cette question, j’ai envie de paraphraser un ouvrage de Jean-François Gravier que j’ai lu pour mes études et qui s’intitule Paris et le désert français. On retrouve la même situation en Ligue 1 avec le PSG et les autres clubs. Il y a une différence de moyens économiques extrêmement importante entre le club de la capitale et ses principaux rivaux. Le chiffre d’affaires du PSG a représenté 30,8% du CA global de la Ligue 1 lors de la saison 2012-13.

Selon moi la différence de moyens entre la Serie A et la Ligue 1 reste conséquente. En Serie A, la masse salariale globale représente encore un poste de dépenses de 1,2 milliard d’euros contre 865 M€ pour la Ligue 1. Et le PSG contribue à plus de 25% de la masse salariale totale du championnat français !

Néanmoins, la Ligue 1 possède un énorme atout : la qualité de sa formation. D’ailleurs, la Premier League adore réaliser une partie de son marché au sein du championnat français.

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